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40 ans du Parlement de Wallonie

Il y aura demain 40 ans, jour pour jour, que se réunissait pour la première fois le Conseil régional wallon, ancêtre de notre Parlement de Wallonie.

Il s’agissait là de la manifestation tangible du vote de la loi spéciale du 8 août et de la loi ordinaire du 9 août 1980 qui faisaient de la Région wallonne comme de la Région flamande, des niveaux de pouvoir disposant de leurs propres gouvernements et de leurs propres parlements.

Quarante ans après ce geste inaugural,  qui précéda de six jours la première du Vlaamse Raad – ce qui montre le dynamisme de la Wallonie -, il nous avait paru important de célébrer cet anniversaire non pas sous le signe de la commémoration mais bien sous celui de la prospective et de la perspective.  C’est pourquoi nous avions demandé à Monsieur Enrico Letta de nous honorer de sa présence et de nous  éclairer de sa vision de l’avenir.

Le dottore Letta a été Président du Conseil  en Italie, fonction qu’il assuma brièvement mais avec autant d’intelligence que de sens réel de l’État.

Il est aussi, et peut-être même surtout, un grand Européen et il préside aujourd’hui  Notre Europe-Institut Jacques Delors, à côté d’autres fonctions.

La nouvelle offensive de la Covid-19 nous a contraints à annuler cette manifestation anniversaire et, par là-même, la venue de Monsieur Letta, espérant que ce ne soit que partie remise. Autant, comme président de cette assemblée, je plaide et je bataillerai pour que celle-ci assume pleinement ses devoirs et prérogatives démocratiques, comme nous l’avons fait le printemps durant, autant, alors que des mesures sont prises qui restreignent la liberté d’aller et venir de nos concitoyens, il me paraît logique et de bonne intelligence de renoncer à cette célébration.

Je voudrais cependant, parce qu’on n’a pas tous les jours quarante ans, revenir à grands traits sur la longue et trop lente marche de la Wallonie vers le fédéralisme.

Sans remonter aux Éburons ou aux Nerviens mais en nous limitant à la période belge – dans l’acception liée à l’État Belgique -, nous savons, nous Wallons, combien le poids des institutions pèse sur le développement de la société et de la vie en commun.

Cet État belge, sans doute pouvons-nous dire aujourd’hui qu’il souffre et qu’il a toujours souffert d’une malformation congénitale : celle de ne pas née fédérale. Les puissances européennes qui ont présidé à sa création, auraient pu, auraient dû s’inspirer des exemples des États-Unis d’Amérique  et de la Suisse, prendre en considération la diversité des territoires rassemblés sous la bannière Belgique et donc opter pour une construction adéquate.

En effet, jusqu’à l’annexion française (1795), le territoire de l’actuelle Belgique est composé de principautés indépendantes les unes des autres. Avant les Bourguignons (1384), elles sont dirigées par différents princes.

Les Bourguignons, puis après eux, les Habsbourg (1482-1795) ne parviennent pas à unifier l’espace belge. En effet, leurs tentatives de centraliser l’administration et d’unifier la législation et la fiscalité se heurtent systématiquement aux particularités institutionnelles, législatives, judiciaires, fiscales et aux coutumes propres à chaque principauté. De plus, ils ne sont pas « princes » de l’espace belge, mais ici comte de Flandre, là duc de Luxembourg…

Ces territoires sont appelés Pays-Bas accolés de différents adjectifs, tantôt méridionaux, espagnols ou autrichiens et sont en outre coupés en deux par la Principauté de Liège.

À partir de 1795, les conquérants français suppriment ces différentes principautés et les organisent en neuf départements. Ils unifient les institutions, les lois, la justice, les poids et mesures. Cependant, les habitants de nos régions ne se disent pas « Français » mais « Belges » et sont considérés comme tels par les fonctionnaires français.

Après le congrès de Vienne en 1815, nos régions sont intégrées dans le royaume des Pays-Bas. Comme l’enseignent les manuels scolaires de l’époque, le royaume est divisé en deux : le sud est un « pays » distinct, nommé Belgique. En 1830, les « Belges » s’unissent contre le souverain des Pays-Bas, Guillaume Ier, et proclament leur indépendance.

Sans histoire commune, sans unité linguistique ni culturelle – l’élite parle le français, le peuple des dialectes, flamands au nord, wallons au sud – avec des réalités économiques différentes et, cela se marquera très vite, des orientations religieuses et politiques divergentes, la création diplomatique qu’était la Belgique était, dès 1830, davantage composite que monolithique.

Sans doute est-ce pour conjurer le sort qu’elle choisit la devise « l’union fait la force », qu’elle partage avec d’autres nations comme la Bulgarie, l’Angola ou Andorre notamment et qu’elle reprit du discours prononcé par le régent Surlet-de-Chokier lors de sa prestation de serment le 25 février 1831. L’union en question visait alors, il est utile de le préciser, celle des tendances catholiques et libérales de la bourgeoisie, majoritairement francophone, face à la menace toujours présente de Guillaume d’Orange, roi des Pays-Bas et, pour la petite histoire, francophone lui aussi.

La question linguistique est au cœur même de la création de la Belgique, je viens de le dire avec les unionistes qui combattent l’idée de Guillaume d’Orange de flamandiser la Flandre et Bruxelles. Cette question linguistique va devenir une préoccupation dominante de l’histoire de notre pays. Le mouvement flamand nait dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ses revendications portent sur la reconnaissance de la langue et de la culture flamandes. Il se place dans une optique qui n’est pas séparatiste ou anti-belge.

On ne retrouve pas de volonté de modifier les structures de l’État dans le mouvement flamand avant la Première Guerre mondiale.

Ce n’est pas le cas du mouvement wallon qui met en évidence, sans oublier la défense de la langue française, la spécificité de la Wallonie. D’un mouvement défensif dans la première phase, on arrive dans un mouvement offensif qui se reconnait moins dans la Belgique de la fin du siècle, car ils la considèrent comme trop « flamandisée ». Cela se traduit par la fameuse idée de la séparation administrative et une première tentative, avortée, de réforme de l’État en 1898.

Quelques années plus tard, Paul Magnette, fils de Charles, un Liégeois,  écrit : « Nous n’avons jamais été Belges. La Belgique est une conception diplomatique ridicule. Réclamons la création d’une République wallonne, puissante ayant tous les avantages de la Belgique (…) sauf l’existence d’un port de mer, que l’on pourra remplacer par des canaux rejoignant la Seine, à travers la France ».

C’est à cette époque que Jules Destrée publie sa Lettre au Roi. Nous sommes en août 1912 et Destrée ne dit rien d’autre que Magnette: « Sire, il y a en Belgique des Wallons et des Flamands. Il n’y a pas de Belges ». Et d’ajouter : « Pour que cet État politique formé de deux peuples distincts puisse poursuivre harmonieusement ses destinées vers une prospérité commune, il faut qu’aucun de ces deux peuples ne soit lésé, ou ne puisse se croire lésé au profit de l’autre. »

La suite est une succession de délitements tempérés par des compromis – les fameux compromis à la belge – qui ont permis que les tensions parfois fort vives ne dégénèrent dans la violence, si ce n’est à de rares exceptions.

Les ressentis différents pendant et après les première et seconde guerres mondiales, le plan Marshall qui privilégie la Flandre paysanne plutôt que conforter la Wallonie industrielle, la question royale, sont autant de fractures.

Tout cela conduit, dans la suite logique d’un congrès wallon tenu en 1945, à la revendication de fédéralisme portée par André Renard et le Mouvement Populaire wallon en écho aux grèves de l’hiver 60-61, pour donner à la Wallonie les leviers de son développement économique et social.

C’est une occasion manquée pour la Wallonie et vingt années de perdues pour se redéployer. Mais ceux qui ne voulaient pas du fédéralisme de Renard ne pourront rien, quelques années plus tard, quand les étudiants flamands de l’université catholique de Louvain bouteront hors leurs murs les étudiants wallons. « Walen buiten » devient une revendication de rejet plus que d’adhésion. Rappelons à toutes fins utiles qu’à la racine du mot fédéralisme, pour citer le linguiste Alain Rey, « il y a l’idée d’un accord fondant une alliance, une union qui correspond à l’étymologie latine du mot foedus »…

Leuven vlaams conduira à la première réforme de l’État, en 1970, et à l’adoption de l’article 107 quater de la Constitution qui stipule que, désormais, « La Belgique comprend trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise ».

Le 15 octobre 1980 se réunissait donc, à Namur, le premier Conseil régional wallon. Il était composé de tous les députés et sénateurs (directs, provinciaux et cooptés) issus des arrondissements électoraux de Wallonie.

Les Bruxellois devront encore attendre près d’une décennie pour voir, enfin, se concrétiser la région de Bruxelles-Capitale, prévue elle aussi en 1970, et cela grâce à l’appui des régionalistes wallons.

En 1980, ce sont des parlementaires élus dans une assemblée nationale qui composent l’assemblée wallonne : on parle à l’époque de « double casquette » puisque le même élu siège dans deux parlements différents, voire de « triple casquette » puisqu’il participe également aux décisions du Conseil culturel de la Communauté culturelle française de Belgique. En tout, ce sont 131 parlementaires qui participent à la séance inaugurale du Conseil régional wallon, dans une grande salle louée en urgence à l’hôtel Sofitel, à Wépion. Ils siégeront là jusqu’au scrutin suivant, organisé en novembre 1981.

En juin 1995, notre Parlement s’émancipe avec des membres élus directement au suffrage universel et s’installe, en septembre 1998, ici, au St Gilles, clôturant ainsi une mauvaise saga sur son implantation.

Nous en sommes aujourd’hui à six réformes de l’État, État devenu constitutionnellement fédéral.

D’étape en étape, les Régions sont devenues les piliers de l’État belge. Leur champ de compétences s’est accru, réforme après réforme. Et tout pousse à penser que le mouvement va se poursuivre.

La question aujourd’hui n’est pas de faire une 7ème  avant une 8ème et une autre sans doute. Mais il est temps de repenser le modèle belge en évitant de se retrouver dans un camp retranché, résistant à des coups de boutoir, mais en contribuant positivement et fermement à l’élaboration d’un modèle cohérent afin de le rendre plus efficace et plus lisible pour les citoyens, tant au niveau fédéral que pour les entités fédérées.

Cela devra également passer par un réexamen de la solidarité entre Wallons et Bruxellois francophones. Je dis cela sans fétichisme d’une institution au détriment d’une autre mais parce que je pense profondément qu’il y va de l’intérêt bien compris des citoyennes et des citoyens de Wallonie. Parce que le redressement entamé de notre Région, pour que ses habitants y vivent correctement, passe par une maîtrise accomplie des outils de ce redressement.

Les Wallonnes et les Wallons ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour assurer leur avenir et avancer, de manière résolue, sur le chemin de la prospérité colle ctive, solidaire et écoresponsable.

La Wallonie a perdu trop de temps dans sa marche vers l’émancipation et le retour à la confiance qu’elle doit avoir en elle-même. Aujourd’hui et demain, forts des expériences passées et portés par l’enthousiasme et la volonté d’aller de l’avant, nous ne pouvons plus nous permettre les moindres atermoiements mais au contraire travailler, oser, inventer, entreprendre pour donner à notre population les atouts pour vivre dignement et librement.

En ayant une pensée émue pour celles et ceux qui ont contribué, parfois dans l’adversité et en ayant tort d’avoir raison, peut-être, trop tôt, je veux croire à ces jours meilleurs pour la Wallonie qui doivent mobiliser l’ensemble de la société. Et je songe particulièrement aux interlocuteurs sociaux.

Modestement mais résolument, je veillerai à ce que le Parlement de Wallonie, fort de ses prérogatives et conscient de ses devoirs, prenne pleinement sa part dans cette noble conquête. Ce dont je ne doute pas.

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