Lettre ouverte aux acteurs de l’enseignement supérieur
Chères enseignantes et chers enseignants,
Chers membres du personnel de l’enseignement supérieur,
Toutes et tous, nous sommes attachés à l’importance de la formation et à sa qualité. Elle est vitale pour le développement personnel de notre jeunesse et pour la vivacité de notre société et de notre démocratie. C’est pourquoi en tant que Ministre de l’Enseignement supérieur, je suis à l’écoute des acteurs et actrices de l’enseignement supérieur de notre Fédération. J’en suis d’autant plus convaincu que, depuis mon entrée en fonction en Communauté française il y a 9 ans de cela, j’ai mis un point d’honneur à consulter et écouter avant de proposer.
Je suis sensible aux demandes et remarques formulées par les enseignant·e·s et vous me faites régulièrement part de problèmes rencontrés dans l’application du décret Paysage. Je tenais à m’adresser à l’ensemble d’entre vous qui évoluez aujourd’hui dans ce nouveau cadre depuis désormais 4 ans.
Tout d’abord, je suis conscient des difficultés rencontrées ces dernières années dans la mise en pratique de la réforme. J’ai d’ailleurs récemment libéré les budgets nécessaires à l’engagement d’une centaine de personnes supplémentaires, les conseillers et conseillères académiques, qui participent, au sein de vos établissements, à la mise en œuvre du décret Paysage et, notamment, à l’élaboration des programmes des étudiant·e·s.
Le décret a été réfléchi et construit, méthodologiquement, étape par étape, par l’ensemble des acteurs au travers des Tables-rondes de l’enseignement supérieur. Je voudrais rappeler que des consultations avec les responsables d’établissements d’enseignement supérieur – Recteurs, Vice-Recteurs et Vice-Rectrices Directeur.trice.s-Président.e.s ou Directeurs et Directrices , les organisations de représentation étudiante, les organisations syndicales et les organes de représentation et de coordination des pouvoirs organisateurs, – ont lieu depuis de nombreuses années, depuis la rédaction du décret jusqu’à sa mise en œuvre concrète, et se poursuivent aujourd’hui.
Il est vrai que nous ne pouvons pas consulter tous les enseignant·e·s individuellement et que leurs représentant·e·s au sein de leur établissement, à l’ARES ou dans les différents groupes de travail, doivent parfois simplifier ou condenser les avis reçus pour en faire un message cohérent. Certain·e·s enseignant·e·s peuvent donc avoir l’impression de ne pas être entendu·e·s.
Cette démarche participative est fondamentale à mes yeux. C’est pour cela que j’ai voulu la pérenniser au travers d’un comité de suivi qui se réunit tous les deux mois et centralise les remarques et demandes du terrain afin que les problèmes rencontrés puissent effectivement être connus et, in fine, que les modifications décrétales puissent répondre concrètement aux problèmes soulevés. Ce comité de suivi du Paysage rassemble aujourd’hui de manière exhaustive des représentant·e·s de l’ensemble des acteurs et actrices de terrain et assure le monitoring de la réforme du paysage de l’enseignement supérieur. Les missions de ce comité de suivi, sa composition, ou encore la publication de ses avis seront, dorénavant, précisés dans un nouveau chapitre du décret Paysage.
Vous le voyez, le décret n’a jamais été pensé comme une réforme imposée et isolée de son contexte. Au contraire, c’est une législation ambitieuse, flexible et progressiste qui définit le cadre d’un projet collectif au service de l’excellence de notre enseignement.
Certain·e·s d’entre vous ont tenu à m’adresser tout dernièrement une lettre ouverte. Je voudrais, par la présente, apporter quelques précisions et clarifications.
Il y a six mois, dans l’esprit constructif et participatif évoqué ci-dessus, je lançais, via l’ARES, un appel vers les acteurs et actrices de terrain afin de les sonder et de faire remonter les remarques, les critiques, les problèmes rencontrés au quotidien ou les propositions de modifications à apporter au décret.
Ce processus aboutira prochainement à l’adoption de modifications du décret qui, bien entendu, viseront à simplifier et à fluidifier le travail des équipes, et non pas à revoir le fond et la philosophie générale du dispositif.
Vous le savez, j’ai toujours indiqué que j’étais prêt à apporter les adaptations nécessaires au texte décrétal. Mais pour faire ces corrections parfois nécessaires, il convient d’avoir une lecture attentive et rigoureuse des textes qui permet d’éviter de projeter un ressenti, un sentiment, sur le texte lui-même ; il est impératif de bien clarifier ce qui relève de la norme décrétale elle-même et ce qui relève du ressenti de cette norme ou de sa mise en œuvre parfois erronée.
Il n’a jamais été question, comme j’ai pu le lire, de brader la qualité des études. Ainsi par exemple, la réussite à 10/20 n’est en rien le signal d’un nivellement vers le bas, mais une simple convention qui harmonise les mécanismes d’évaluation à l’ensemble des institutions d’enseignement supérieur en s’alignant sur des exemples étrangers.
Contrairement à ce que j’ai pu lire, les jurys restent souverains au sein de leur établissement en matière d’enseignement. Avec les enseignant.e.s, ils restent les garants de la qualité de l’enseignement, ils sont les seuls juges de la réussite des étudiant·e·s. Ils ont donc entre leurs mains la pédagogie à mettre en place, le savoir à dispenser et les grilles d’évaluation qui permettront de valider une connaissance acquise en fonction du niveau d’exigence qu’ils auront déterminé. Les jurys sont les seuls à avoir une vision globale du parcours de l’étudiant comme cela existait déjà avant la réforme. La norme est vôtre en d’autres mots. Vous contrôlez ce curseur qui indique si, oui ou non, l’étudiant·e maîtrise suffisamment le contenu du cours.
Et puisque nous parlons de réussite, je voudrais insister sur un autre point fondamental : la validation de 45 crédits en première année de premier cycle ne constitue aucunement une réussite pour l’étudiant·e. Valider 45 crédits sur 60 n’est pas une réussite. Cette mesure permet à l’étudiant·e de poursuivre son cycle d’étude. Avant la réforme, il existait un système similaire qui – de manière optionnelle pour les Universités et mécanique pour les Hautes Ecoles – permettait de poursuivre le cursus à partir de 48 crédits acquis ; il n’y a donc rien de très nouveau. Ce système a été pensé, bien avant moi, pour permettre aux étudiant·e·s de ne pas faire de surplace, ce qui implique une implication accrue de leur part dans la gestion de leur parcours. L’étudiant·e doit se rendre compte que cette mesure l’autorise à progresser mais qu’elle constitue aussi et surtout un signal d’alerte ; s’il est dans une situation d’échec partiel, il devra fournir plus d’efforts pour réussir ses études.
Il est intéressant de rappeler que dans le système des candidatures et licences, le cadre était beaucoup moins flexible qu’aujourd’hui. De nombreux étudiant·e·s allaient ainsi négocier chez les professeurs pour obtenir des dispenses ou pour pouvoir anticiper certains cours. C’était une faveur que l’enseignant·e pouvait octroyer ou non sur base d’une décision subjective. Dorénavant, avec le décret Paysage, ce cadre est défini. Il n’y a plus de discriminations entre étudiant·e·s.
L’année académique 2018-2019 correspond à la cinquième rentrée depuis l’entrée en vigueur du décret. Les bases de données statistiques dont nous disposons permettent aujourd’hui d’avoir 3 à 4 ans de recul. La Direction Etudes et Statistiques de l’ARES a commencé l’analyse et l’évaluation des effets du décret. Les résultats qui en sortiront à l’avenir seront sans conteste importants en terme de pilotage de l’enseignement supérieur.
Contrairement à certains chiffres donnés pour une Université, les premières tendances en Hautes Ecoles montrent que :
- le taux de réussite d’un bachelier de 180 crédits en trois ans est resté quasi identique à ce qu’il était avant la réforme
- le taux de réussite des étudiant·e·s en fin de premier bloc a augmenté dans les hautes écoles ;
- les abandons lors de la première année d’inscription sont quasi identiques entre 2013-2014 et 2016-2017.
Il est également important de mesurer l’évolution récente de notre système d’enseignement supérieur à l’aune d’autres paramètres que ceux du décret Paysage. Ainsi par exemple, ces dernières années, le nombre d’étudiant·e·s inscrit·e·s dans l’enseignement supérieur n’a cessé de croître tandis que les résultats des élèves dans l’enseignement secondaire n’ont pas connu d’évolution particulièrement significative.
Par ailleurs, il est aléatoire de comparer les taux d’échec d’avant et d’après l’instauration du décret, d’une part, parce que le contexte a fortement changé et, d’autre part, parce que l’origine de l’échec est multi-factoriel. Il est donc nécessaire de rester prudent avec les chiffres, avec les analyses qui en découlent et, surtout, de prendre toutes les précautions nécessaires dans les conclusions qui pourraient être tirées.
La distance critique inhérente à votre métier vous l’a appris mieux qu’à quiconque ; lorsqu’un détracteur souhaite soulever un constat à partir d’un chiffre isolé, il y a toujours un risque de se retrouver avec une vision partielle et donc tronquée de la réalité. Ainsi par exemple, comment ne pas corréler le taux d’abandon d’avant et d’après la réforme à ces taux d’échec ou encore à l’évolution de la population étudiante et à son origine socio-culturelle et économique.
Je terminerai, chères enseignantes, chers enseignants, chers membres du personnel de l’enseignement supérieur, en vous rappelant que nous cherchons toutes et tous en permanence l’amélioration de l’enseignement supérieur et le fait de placer l’étudiant·e au cœur du système n’a jamais été, n’est pas et ne peut pas être préjudiciable à l’excellence de notre enseignement supérieur.
L’enseignement universel, inclusif et moderne que nous souhaitons pour l’ensemble de nos étudiants est un enjeu démocratique essentiel, un vecteur d’émancipation pour nos jeunes, un rempart contre le populisme ambiant, un antidote à l’enseignement élitiste qui exclut et discrimine de manière arbitraire. Cet enseignement qui inclut est intimement lié à la qualité du savoir. L’avenir de notre société en dépend.
Je suis à votre entière disposition pour envisager la suite du travail. Je suis disponible pour des discussions concrètes dans vos classes et vos amphis. Je sais que ce projet collectif demande de l’énergie et mobilise des ressources mais je reste persuadé que les difficultés rencontrées trouveront une solution concrète, que ce soit au travers de l’aménagement prochain de certaines dispositions du décret Paysage ou au travers d’une lecture attentive d’un texte qui, avec les étudiant·e·s, a placé la liberté académique et l’autonomie des institutions et des jurys au cœur du dispositif.
Jean-Claude MARCOURT