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Wallonie : l’histoire d’une affirmation

Il y a 40 ans, se réunissait pour la première fois le Conseil régional wallon, ancêtre de notre Parlement de Wallonie. Il s’agissait là de la manifestation tangible du vote de la loi spéciale du 8 août et de la loi ordinaire du 9 août 1980 qui faisaient de la Région wallonne comme de la Région flamande, des niveaux de pouvoir disposant de leurs propres gouvernements et de leurs propres parlements.

Le système unitaire s’engageait résolument sur la voie de la décentralisation et du fédéralisme. Aujourd’hui, le travail réalisé est important et l’ouvrage inachevé. Au cours du temps, le modèle fédéral qui avait jadis inspiré les constituants a évolué et s’est transformé. Les espoirs et les volontés aussi. Les réformes qui étaient présentées comme le moyen de résoudre les continuels et, disons-le, lassants conflits dits « communautaires » sont devenues, aux yeux d’une partie de l’opinion prêtant peu d’attention à notre histoire, la cause des problèmes belges actuels ; de solution, le fédéralisme a muté en problème.

Parce que l’histoire passée n’est pas innocente pour le présent, mais aussi parce qu’on n’a pas tous les jours quarante ans, je voudrais revenir à grands traits sur le mirage de la prédestination belge et sur la longue et trop lente marche de la Wallonie vers le fédéralisme

Sans remonter aux Éburons ou aux Nerviens mais en nous limitant à la période belge – dans l’acception liée à l’État Belgique -, nous savons, nous Wallons, combien le poids des institutions pèse sur le développement de la société et de la vie en commun.

Cet État belge, sans doute pouvons-nous dire aujourd’hui qu’il souffre et qu’il a toujours souffert d’une malformation congénitale : celle de ne pas être né fédéral. Les puissances européennes qui ont présidé à sa création, auraient pu, auraient dû prendre en considération la diversité des territoires rassemblés sous la bannière Belgique et donc opter pour une construction adéquate, fédérale.

Jusqu’à l’annexion française (1795), le territoire de l’actuelle Belgique est composé de principautés indépendantes les unes des autres. Les Bourguignons (1384), puis après eux, les Habsbourg (1482-1795) ne parviennent pas à unifier l’espace belge. En effet, leurs tentatives de centraliser l’administration et d’unifier la législation et la fiscalité se heurtent systématiquement aux particularités institutionnelles, législatives, judiciaires, fiscales et aux coutumes propres à chaque principauté. De plus, ils ne sont pas « princes » de l’espace belge, mais ici comte de Flandre, là duc de Luxembourg… Ces territoires sont appelés Pays-Bas accolés de différents adjectifs, tantôt méridionaux, espagnols ou autrichiens et sont en outre coupés en deux par la Principauté de Liège.

À partir de 1795, les conquérants français suppriment ces différentes principautés et les organisent en neuf départements qui deviendront les provinces après l’Indépendance. Ils unifient les institutions, les lois, la justice, les poids et mesures. Cependant, les habitants de nos régions ne se disent pas « Français » mais « Belges » et sont considérés comme tels par les fonctionnaires français.

Après le congrès de Vienne en 1815, nos régions sont intégrées dans le royaume des Pays-Bas. Comme l’enseignent les manuels scolaires de l’époque, le royaume est divisé en deux : le Sud est un « pays » distinct, nommé Belgique.

Sous la période hollandaise, la question linguistique est au menu, avec l’idée de Guillaume d’Orange de flamandiser la Flandre et Bruxelles. Il rencontre une vive opposition. On entend en 1829 : « Jamais les Wallons ne parleront le Hollandais ». En 1829, le révolutionnaire Louis de Potter réclame dans le Courrier des Pays-Bas l’égalité au sein du royaume des Pays-Bas pour trois groupes : les Hollandais, les Flamands et les Wallons. On distinguait donc déjà des différences linguistiques et culturelles. La politique linguistique de Guillaume d’Orange a creusé les différences et conforté cette distinction.

Sans histoire commune, sans unité linguistique ni culturelle – l’élite parle le français, le peuple des dialectes, flamands au Nord, wallons au Sud – avec des réalités économiques différentes et, cela se marquera très vite, des orientations religieuses et politiques divergentes. En 1830, la Belgique nait de la « la fausse couche de la diplomatie de 1815 », comme le disait Michel de Ghelderode. Une création diplomatique qui était davantage composite que monolithique.

Le premier roi, celui qui a été choisi un peu par élimination, déclarait : « La Belgique n’a pas de nationalité et, vu le caractères de ses habitants, ne pourra jamais en avoir ». Sans doute est-ce pour conjurer le sort qu’elle choisit la devise   « l’union fait la force », qu’elle partage avec d’autres nations comme la Bulgarie, l’Angola ou Andorre notamment. L’union en question visait alors, il est utile de le préciser, celle des tendances catholiques et libérales de la bourgeoisie, majoritairement francophone, face à la menace toujours présente de Guillaume d’Orange, roi des Pays-Bas et, pour la petite histoire, francophone lui aussi.

La question linguistique remonte donc à l’indépendance et elle va devenir une préoccupation dominante de l’histoire de notre pays.

Dominée par la bourgeoisie francophone, du nord comme du sud, la jeune Belgique méconnaît la culture flamande. Le Mouvement flamand nait dès les années 1840 et réclame la reconnaissance de la langue et de la culture flamandes, ainsi une plus grande participation au pouvoir, notamment eu égard à son poids démographique, plus important que celui de la Wallonie. Je serai toutefois tenté de dire que c’est l’État belge qui a créé le Mouvement flamand, en réaction. En effet, dans cet État où ils ne comptaient pour rien ou pour si peu, il était somme toute assez naturel que ce peuple se constitue en État. Il s’agit de comprendre comment on passe d’une humiliation terrible à une frontière linguistique, qui aura d’ailleurs tout, dès sa création d’une frontière d’État.

Le ver était dans le fruit depuis très longtemps, puisque la frontière linguistique actuelle est relativement stable depuis le XIe siècle. Elle se prolonge d’ailleurs par le Sud jusqu’en Suisse distinguant la partie romande de la partie alémanique. En 1848, contrairement aux pères fondateurs de notre pays, les constituants suisses ont eu la clairvoyance de prendre en considération la diversité des territoires et des peuples, et d’opter pour un État fédéral.

Le Mouvement wallon tentera très tôt de corriger la faiblesse de la Belgique unitaire et son action fédéraliste a eu une influence déterminante sur l’organisation actuelle de l’État.

Le jeune État belge voit coexister deux sensibilités très différentes : une Flandre agricole et catholique et une Wallonie en pleine révolution industrielle, influencée par le libéralisme et le socialisme ainsi que par la France devenue une république, laïque et anticléricale suite à la chute de Napoléon III.

Face à une Flandre majoritaire qui s’affirme et remporte ses premières victoires politiques dans le dernier quart du XIXe siècle avec la promulgation de lois instaurant le bilinguisme en matières administrative, judiciaire et scolaire, la conscience wallonne commence à se forger. Ainsi, naissent les premières Ligues wallonnes. Au départ, elles ont pour but de défendre les droits et de promouvoir l’identité de la Wallonie. L’extrême fin du XIXe siècle voit ainsi les débuts du Mouvement wallon dans lequel Liège joue un rôle déterminant.

Les tensions entre les deux communautés se cristallisent en 1898 dans le contexte de la loi « d’Égalité » du français et du néerlandais en Belgique, connu sous le nom de loi Cooremans – De Vriendt. Celle-ci apparait pour certains Wallons comme une nouvelle étape du bilinguisme. Elle amorce la deuxième phase du mouvement wallon qui se préoccupe davantage de ce qui sépare de ce qui unit et met en évidence la spécificité de la Wallonie ; sans oublier la défense de la langue française. Défensif à ses débuts, le mouvement wallon devient offensif et considère la Belgique comme trop « flamandisée ».

Devant les victoires engrangées par le Mouvement flamand les premiers projets fédéralistes wallons sont présentés au sein du Mouvement wallon lors des grands congrès de 1905 et 1912, qui se tiennent tous deux à Liège.

Durant trois jours, le premier Congrès wallon, organisé par la Ligue wallonne de Liège à l’occasion de l’Exposition universelle, réalise un travail remarquable de révélation de l’identité et de la réalité wallonnes dans les domaines de l’Histoire, de la culture, des mentalités et du développement économique. Le libéral Julien Delaite,  qui préside le congrès, revient sur la loi « d’ Égalité » qui a ignoré la langue wallonne, celle que parle le peuple en Wallonie, et exige que les magistrats aient au moins une connaissance orale du wallon, pour être sûr que l’inculpé puisse comprendre les débats et pour s’assurer qu’il n’y ait pas un corps de magistrats principalement flamands actif en Wallonie. Il revendique aussi le bilinguisme franco-wallon pour les fonctionnaires en contact avec le public, en Wallonie. On sait ce qu’il est advenu.

Après le congrès « identitaire » de 1905, le deuxième congrès wallon du 7 juillet 1912 consacre l’essentiel de ses débats à la question de la séparation administrative. Celle-ci est à l’ordre du jour dans un contexte d’extrême tension. Le Parti Ouvrier Belge vient de perdre les élections législatives du 2 juin 1912 face au parti catholique majoritairement flamand. Pour le député socialiste Jules Destrée, les élections ont montré les différences profondes de mentalité et de sensibilité entre Flamands et Wallons, la division politique correspondant à la division linguistique. La déception est grande parmi la classe ouvrière qui voit également le suffrage universel et les réformes sociales reportées sine die. Le lendemain de l’élection, la Wallonie s’enflamme. Des émeutes éclatent dans le bassins industriels, notamment à Liège où les gendarmes tirent dans la foule causant la mort de plusieurs personnes. Destrée déclare : « plus ardemment que jamais (…), nous luterons pour le suffrage universel. Nous ne désarmons pas. Il ne faut pas que la Wallonie soit sous la tutelle de la Flandre. »

Destrée, toujours lui, publie sa Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre. Nous sommes en août 1912, il écrit : « Sire, il y a en Belgique des Wallons et des Flamands. Il n’y a pas de Belges ». Et il ajoute : « Pour que cet État politique formé de deux peuples distincts puisse poursuivre harmonieusement ses destinées vers une prospérité commune, il faut qu’aucun de ces deux peuples ne soit lésé, ou ne puisse se croire lésé au profit de l’autre. »

Conformément à la décision du Congrès wallon de 1912, l’Assemblée wallonne est intronisée le 20 octobre 1912 à Charleroi, dans les locaux de l’Université du Travail. Ce « Parlement wallon informel et officieux » est composé 134 membres (un délégué pour 40.000 habitants), les parlementaires wallons sont invités (députés et sénateurs) ainsi qu’une dizaine de délégués bruxellois. L’Assemblée est dominée par les libéraux et les socialistes, les catholiques ayant décidé de la boycotter. L’Assemblée wallonne veut : « maintenir la nationalité belge, persuadée que l’unité belge basée sur la domination d’un peuple sur l’autre est impossible ». Perçu comme une étape sur le chemin du fédéralisme ou comme un phénomène radical, l’Assemblée wallonne n’aura cependant pas achevé sa mission première (l’étude des modalités de la séparation administrative) lorsque la Grande Guerre éclate.

Elle a par contre l’occasion d’adopter les emblèmes distinctifs de la Wallonie et, par son activité, d’affirmer la volonté des Wallons d’aborder tous les sujets politiques sous l’angle régional. Sur le plan symbolique, afin de favoriser l’éclosion d’une identité propre à la Wallonie, l’Assemblée wallonne propose en 1913 d’instaurer une fête annuelle wallonne, distincte des célébrations nationales du 21 juillet. Divers événements historiques sont proposés comme référence commémorative : la paix de Fexhe du 18 juin 1316 garantissant pour la première fois la liberté individuelle et une justice impartiale en Principauté de Liège, l’épisode des six cents Franchimontois du 28 octobre 1468 ou la victoire de l’armée révolutionnaire française contre l’Autriche lors de la bataille de Jemappes du 6 novembre 1792. Finalement, la fête de la Wallonie est fixée au dernier dimanche de septembre pour commémorer les journées de la révolution de 1830, réinterprétées comme un combat mené essentiellement par des Wallons pour lutter contre la volonté de « flamandisation » de Guillaume d’Orange. Un choix considéré comme « peu lisible » voire « surprenant » par plusieurs historiens. L’Assemblée wallonne retient l’œuvre réalisée par le peintre Pierre Paulus comme emblème et drapeau de la Wallonie : le coq hardi, rouge sur fond jaune. Plus tard, l’Assemblée wallonne consacrera le Chant des Wallons comme hymne officiel. C’est également dans le bouillonnement de l’affirmation wallonne que nait le Musée de la vie wallonne (Liège), conservatoire des arts et traditions populaires, des us et coutumes, des techniques et des métiers wallons.

Avancée sociale indéniable, dans son principe, l’instruction publique obligatoire votée en 1914, est cependant, aussi, discriminante à l’égard des couches populaires : les écoles publiques imposent une éducation en langue française à tous les enfants, interdisent dans leurs murs l’usage du wallon, qui est la langue véhiculaire de la majorité des enfants. Ce dénigrement du wallon sera renforcé par les consignes officielles de 1952 visant à punir son utilisation dans les écoles.

Ainsi, l’Assemblée wallonne apparaît comme un outil mobilisateur de l’action wallonne, y compris auprès des masses populaires.

La Première Guerre mondiale voit l’occupant allemand diviser la Belgique en deux régions administratives : une flamande avec Bruxelles pour capitale, l’autre wallonne, avec Namur pour capitale. L’occupant développe aussi la Flamenpolitik dans le but de réduire le caractère francophone de l’État belge, à la grande satisfaction du Mouvement flamand et, bien évidemment, au détriment du Mouvement wallon qui, la guerre terminée, n’ose pas reprendre sa revendication de séparation administrative car celle-ci renvoyait à la politique de l’occupant.

L’immédiate après Première Guerre mondiale voit la célébration de la Belgique unitaire, sur fond de l’image tutélaire du Roi Albert (premier à avoir prêté serment en néerlandais, en plus du français) et de la Reine Elisabeth.

La question linguistique redevient vite d’actualité avec la polémique grandissante sur l’utilisation exclusive du français par les officiers – flamands, wallons et bruxellois – de l’armée belge, notamment sur le front de l’Yser, langue que ne comprend pas la majorité des soldats, qu’ils soient flamands ou wallons. Le Mouvement flamand s’en saisit pour nourrir son combat. Cela se traduit par la construction de la Tour de l’Yser, à Dixmude, inaugurée en 1930, pour célébrer la paix et honorer les souffrances des soldats flamands combattants au cours de la Première Guerre mondiale mais qui devient presque immédiatement l’incarnation d’une aspiration plus large à l’émancipation flamande. En 1986, la Région flamande fera de  la Tour de l’Yser le « Mémorial de l’émancipation flamande ».

Avec le passage de l’Université de Gand du français au néerlandais, en 1930, c’est une revendication historique du Mouvement flamand, qu’avait confortée l’occupant allemand, qui consacre l’affirmation de la langue alors que, pendant le même temps, le wallon, s’il reste la langue du travail et des travailleurs, continue à s’éroder, chassée qu’elle est des enceintes des écoles.

Alors qu’il a été traversé par un fort courant francophile au sortir de la guerre, le Mouvement wallon repart à l’offensive, notamment en réaction à la sous-représentation wallonne dans les gouvernements nationaux ou aux sous-investissements en matière de travaux publics en Wallonie par rapport à la Flandre.

A l’instigation notamment du socialiste liégeois Georges Truffaut et du libéral namurois François Bovesse, la Concentration Wallonne, dès 1930, rejette l’unitarisme et revendique le fédéralisme, notamment pour des raisons économiques. En 1937, la Concentration Wallonne demande « la fixation définitive de la limite septentrionale de la Wallonie ». Le trio socialiste liégeois Dehousse-Truffaut-Van Belle dépose, sans succès, une proposition de loi pour instaurer en Belgique un régime fédéral à trois.

En Flandre, nouvelle étape du nationalisme, en 1933, avec la création du VNV (Vlaams nationaal verbond) qui rencontre vite un grand succès électoral et qui prône l’établissement d’un état thiois, union de la Flandre et des Pays-Bas, avant de reconnaître Hitler comme chef suprême, s’engageant ainsi résolument dans la collaboration. L’amnistie des collaborateurs sera, et reste toujours, une revendication permanente du Mouvement flamand.

La Seconde Guerre mondiale ne va qu’accroître les divergences entre Flamands et Wallons. Il serait faux de dire, évidemment, que tous les Flamands ont été collabos et tous les Wallons résistants. Mais il est avéré que, majoritairement, Flamands et Wallons n’ont pas eu les mêmes réactions vis-à-vis de l’Allemagne nazie qui a, elle aussi, pratiqué des politiques radicalement différentes à l’égard des uns et des autres. Ainsi, sur les 140.000 soldats flamands faits prisonniers en 1940 (les chiffres varient selon les sources mais les proportions sont identiques), l’énorme majorité d’entre eux est libérée fin 40, début 41, après évaluation linguistique. A la fin de la guerre, il y aura encore 2.000 Flamands en captivité. Côté wallon, sur les 80.000 soldats faits prisonniers en 1940, entre 65.000 et 70.000 devront attendre mai 1945 pour recouvrer la liberté. Rappelons qu’environ 2.000 prisonniers sont morts en captivité et que 750 ont réussi à s’évader.

Alors que le général De Gaulle lance son appel historique du 18 juin depuis Londres pour la France Libre, le roi Léopold III refuse de poursuivre la lutte et de suivre le gouvernement belge en Angleterre. Les militants wallons voient dans le général français un signe d’espoir et ils organisent la résistance contre l’occupant allemand. Ainsi, nait le Mouvement de la Wallonie libre en pleine clandestinité qui décide dès le 30 avril 1942 de tenir un grand congrès au sortir de la guerre.

Contrairement aux lendemains de la Première Guerre mondiale restés dans la mémoire collective comme le temps de « l’union sacrée » patriotique, en 1945, la société belge est divisée, bloquée, meurtrie et a perdu tous ses repères. Autrefois poumon de la Belgique, l’économie wallonne est en déclin après cinq années de guerre. Les investissements tardent à venir et l’inquiétude croît quant à l’abandon de l’activité industrielle wallonne par la Belgique alors qu’au nord, les Flamands sont déjà organisés économiquement par le Vlaams Economic Verbond (patronat flamand). La guerre abandonnée après 18 jours, l’exode, les camps de prisonniers wallons, la neutralité, la fierté de la résistance majoritairement wallonne, la honte de la collaboration et la montée en puissance du nationalisme flamand, sont autant d’éléments qui ont fracturé la fragile identité belge. La justice rapide, pour ne pas dire expéditive, qui se chargera d’examiner les cas de collaboration, va nourrir et renforcer, pour des décennies, le sentiment anti-belge de nombre de Flamands.

Le roi, symbole de l’unité et de l’autorité est en plein discrédit. Sa rencontre avec Hitler à Berchtesgaden le 19 novembre 1940 et son remariage avec une roturière flamande en pleine occupation allemande, le tout sans l’aval du gouvernement, sont deux causes parmi d’autres qui vont alimenter la Question royale.

C’est dans ce contexte anomique, dans un pays en ruine, qu’est organisé à Liège les 20 et 21 octobre 1945 le premier grand rendez-vous de toutes les forces vives de la Wallonie libérée et consciente de son identité. Enfin, pas réellement toutes, car à l’instar du congrès de 1912, les catholiques le boycottent. Plus d’un millier de personnes participent à ce Congrès national wallon, animé notamment par Fernand Dehousse, pour débattre et choisir parmi quatre solutions pour l’avenir de la Wallonie :

  • le maintien de la structure unitaire de la Belgique avec des modifications plus ou moins importantes dans l’appareil constitutionnel ou légal ;
  • l’autonomie de la Wallonie dans le cadre de la Belgique ;
  • l’indépendance complète de la Wallonie ;
  • la réunion de la Wallonie à la France.

Un double vote est officiellement prévu. Le Mouvement wallon est alors fort francophile comme en témoigne le premier vote qualifié de « sentimental ». Ce premier vote permet aux militants wallons de laisser parler leur cœur puisque qu’ils voteront en faveur de la réunion de la Wallonie à la France par 486 voix sur 1048, comme le rappelle l’historien Philippe Raxhon  (Histoire du Congrès wallon d’octobre 1945. Un avenir politique pour la Wallonie ?, Charleroi, 1995). Après de nouveaux débats, c’est à main levée qu’une proposition favorable au projet fédéraliste est approuvée (à l’unanimité moins 12 voix). Ce second vote sera présenté comme le vote de raison. Après des années abominables de guerre, l’espérance renait  dans un mouvement populaire de reconstruire, par un processus démocratique, un projet dans lequel l’identité s’articule avec la souveraineté et la volonté d’un avenir commun.

Dans la foulée du second vote, une commission est créée, le Congrès national wallon s’entoure de juristes et rédige un projet de réforme institutionnelle visant à introduire le fédéralisme en Belgique. Une proposition de loi est déposée à la Chambre en 1947, mais elle est rejetée sous prétexte qu’aucune modification institutionnelle ne peut intervenir en période de Régence. Comme nous le savons, le combat pour l’instauration du fédéralisme sera encore long.

Ce que nous devons retenir de ce congrès, c’est le message d’espoir, la volonté de changement, d’ouverture et de reconstruction. Mais aussi le sentiment plus ou moins diffus que les Wallons ne pourront compter que sur eux-mêmes pour y arriver. Le plan Marshall — programme américain de prêts accordés aux différents États de l’Europe pour aider à la reconstruction des villes et des installations bombardées lors de la Seconde Guerre mondiale — concentré par le gouvernement belge au bénéfice de la Flandre allait en apporter rapidement la preuve.

La Belgique de papa, pour reprendre l’expression de Gaston Eyskens, était déjà morte. Bien avant que les étudiants de la Katholieke Universiteit Leuven n’éructent leur Walen buiten comme d’autres, plus tard, Belgïe barst.

Alors que le Mouvement wallon renait à la Libération, le Mouvement flamand est quant à lui discrédité, réprimé, épuré et disparait pour une courte durée de la scène politique. En effet, l’irréalité de l’unité nationale revient sur le devant de la scène avec la Question royale, qui agite et divise le pays de 1945 à 1950. Léopold III, le « prisonnier de Laeken », a refusé de suivre ses ministres, a discuté avec Hitler, s’est remarié en pleine occupation et a toléré le traitement discriminatoire infligé aux prisonniers wallons et la déportation des travailleurs : voici une liste non-exhaustive des ingrédients qui ont amené à cette période de quasi guerre civile. Une consultation populaire est organisée le 12 mars 1950 pour ou contre le retour du roi et le verdict traduit des sentiments opposés : la Flandre dit « oui » au retour du roi à 72% tandis que la Wallonie et Bruxelles répondent « non » respectivement à 58% et à 52 % ( plus de 65% de non dans les arrondissements industriels de Liège, Charleroi, Mons et Soignies).

Le roi regagne la Belgique le 22 juillet 1950 déclenchant de graves incidents en Wallonie, dont la mort des quatre hommes abattus par la gendarmerie à Grâce-Berleur en région liégeoise. Face à ce soulèvement insurrectionnel, le roi se résigne à déléguer ses pouvoirs à son fils Baudouin, promu « prince royal », en août. Il abdiquera officiellement en juillet 1951.

Si la Question royale est le plus grand révélateur de la division des Belges, elle a aussi pour conséquence de radicaliser la Flandre catholique en colère face à ce qu’elle considère comme un déni de démocratie des Wallons qui ont refusé d’accepter le résultat de la consultation populaire. Par l’opération baptisée « Verruiming » (élargissement), l’aile flamande du parti catholique, nouvellement baptisé Parti social chrétien (PSC-CVP), récupère à son profit le corps électoral considérable du VNV (Vlaams National Verbond), organisation politique collaborationniste la plus importe en Flandre, qui  a été frappée d’interdiction après la guerre. Cette aile du parti n’aura de cesse de réclamer une loi d’amnistie afin d’être « pardonné » pour avoir embrassé la pire des idéologies : le nazisme. Ce que (le Flamand) Jacques Brel résumera dans sa chanson « Les Flamingants » par une formule choc : « nazis durant les guerres, catholiques entre elles ».

En mars  1950, en pleine Question royale donc, le Congrès national wallon qui se réunit à Charleroi, voit le secrétaire général adjoint de la jeune FGTB (créée en 1945), par ailleurs leader des métallos liégeois, André Renard, apporter le soutien de la FGTB Liège-Huy-Waremme et de ses 85.000 affiliés aux revendications fédéralistes. Souvent confiné à une certaine élite intellectuelle, le mouvement wallon pour le fédéralisme trouve là une assise populaire.

Les élections du 4 juin 1950 portent au pouvoir un gouvernement homogène catholique. Avec 47,7% des voix sur l’ensemble du pays (60,4% en Flandre pour 32,9% en Wallonie), le PSC-CVP obtient la majorité absolue à la Chambre des Représentants avec 108 sièges sur 212.

Le 18 août, le député communiste sérésien Julien Lahaut, qui fut résistant et déporté, est assassiné sur le pas de sa porte. Quelques jours plus tôt, lors de la prestation de serment du prince royal Baudouin devant le Parlement, le cri de « Vive la République » avait été lancé depuis les bancs communistes.

Le plan Marshall qui privilégie l’industrialisation de la  Flandre paysanne plutôt que moderniser la Wallonie industrielle et l’immobilisme des années 50’ sont désastreux sur le plan économique pour notre région. En outre, le PSC-CVP qui occupe seul le pouvoir grâce à la récupération des électeurs du VNV et de tous ceux qui ont voté « oui » au retour du roi lors de la Question royale, élabore une législation scolaire ultra favorable aux écoles libres catholiques.

La Wallonie souffre de maux structurels – diminution démographique, vieillissement de l’industrie, manque de réseaux de communication rapide… – qui conduisent à son déclin économique, programmé par ailleurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes :  entre 1920 et 1938, ce ne sont pas moins de 1.700 millions dépensés en Flandre contre 381 millions en Wallonie ! Alors que le nord du pays est équipé en autoroutes et en voies navigables modernes dès les années 50’, il faut attendre 1972 pour que la Wallonie soit dotée d’un tronçon Mons-Liège à causes des réticences budgétaires flamandes.

Le Congrès national wallon de 1953, qui revêt une importance aussi proche de celui de 1945, constate que « les réformes structurelles ont manqué ». Willy Schugens, secrétaire de la FGTB de Liège-Huy Waremme s’exclame lors du Congrès : « Nous sommes justement ici pour rechercher ce qui, par les grandes réformes de structure fédéraliste, va donner un élan irrésistible à l’expansion économique et sociale de nos régions. »

En 1954, la priorité du nouveau gouvernement socialiste-libéral d’Achille Van Acker sera de défaire la législation scolaire de son prédécesseur pour y substituer une autre. Nouvel échec des espoirs du Mouvement wallon : la guerre scolaire faisant, une fois encore, écran aux revendications socioéconomiques wallonnes. Ainsi, lorsque le Liégeois Maurice Bologne fait le bilan du travail des ministres wallons et qu’il se pose la question de savoir ce qu’ils ont fait pour leur région en tant que Wallons fédéralistes, il répond : « Rien ou presque rien ». La trop longue bataille sur le thème scolaire, dont la pacification n’interviendra qu’en 1958 avec le fameux « Pacte scolaire », ne permet pas d’aborder sérieusement d’autres problèmes, notamment sur le plan économique et social.

En cette même année 1954, naît un nouveau parti qui reprend le flambeau flamingant : la Volksunie (VU). D’abord pour l’indépendance de la Flandre, puis fédéraliste, avec un État fédéral composé de deux régions, Flandre et Wallonie, avec Bruxelles, capitale et district fédéral, la VU remet la question de l’amnistie sur le devant de la scène politique. Elle obtient un premier élu à la Chambre en 1958 pour connaître un grand succès électoral dans les années 60 et 70 et jouer un rôle majeur dans la transformation de la Belgique unitaire en État fédéral, grâce à Hugo Schiltz notamment, avant d’être dissoute en 2001 et de donner naissance à la N-VA.

L’arrivée de la Volksunie dans le paysage politique flamand va avoir, entre autres conséquences, la mutation de la doxa communautaire du CVP. Jusque là, le principal parti flamand , et de loin puisqu’il trustait plus de 50% des voix, suivait une stratégie belgo-flamande : la Flandre n’avait pas besoin du fédéralisme puisque sa position dominante lui permettait d’utiliser sa majorité dans les institutions belges pour servir d’abord et avant tout les intérêts flamands. Titillé par la VU, le CVP va doucement prendre le chemin du fédéralisme.

Les 25 et 26 avril 1959, la neuvième session du Congrès national wallon se tient à Liège sous la présidence de Maurice Delbouille, sénateur socialiste et professeur à l’Université de Liège. Le congrès dresse un bilan inquiétant de la Wallonie. La dépression économique se profile et le revenu par habitant s’effondre. On crie au pillage de la Wallonie, au transfert des industries wallonnes vers la Flandre et au déséquilibre interne des institutions unitaires. En 10 ans, de 1953 à 1962, l’industrie charbonnière wallonne a perdu près de 40% de son activité avec 42.000  emplois détruits. La Wallonie agonise.

Deux ans à peine après la guerre scolaire, l’État belge est secoué par la crise congolaise. L’indépendance du Congo est conquise le 30 juin 1960 et dans la métropole « le sentiment national (belge) n’en sort pas grandi », comme l’écrit François Perin. L’affaire coloniale nourrit le Mouvement wallon. Ainsi, le journal Wallonie libre écrit : « Certaines régions du Congo nous donnent une leçon en nous montrant ce qu’il faut faire quand une volonté dominatrice s’obstine à vouloir enfermer au sein d’un État unitaire des peuples d’origine, de tendance et d’aspirations différentes. Les Katangais ont eu une résolution qui nous a manqué jusqu’à présent ». De plus, l’indépendance du Congo à une incidence budgétaire sur l’État belge. Gaston Eyskens, Premier ministre du gouvernement PSC/CVP-libéral,– les catholiques ayant manqué une nouvelle majorité absolue de deux sièges à la Chambre –, chiffre cette perte à 6,6 milliards. Il met en place le Projet de loi d’expansion économique, de progrès et de redressement financier, mieux connu sous l’appellation de « Loi unique », réel programme d’austérité dont les points centraux consistent à demander aux contribuables un effort fiscal supplémentaire et de réduire de 11 milliards les dépenses de l’État, essentiellement dans le secteur social, le salaire des fonctionnaires et les finances communales. Ce projet – que le gouvernement ne veut pas amender – est le détonateur qui met le feu aux poudres.

Le 20 décembre, débute celle qu’on appellera la « grève du siècle » de l’hiver 60-61. Elle dure un mois, sans que les revendications qui l’ont motivée soient alors rencontrées. Mais elle va surtout profondément bouleverser les forces politiques et syndicales en Wallonie, redessiner le Mouvement wallon et donner un nouvel élan aux revendications fédéralistes.

A la tête d’une majorité catholique-libérale (le PSC-CVP – 104 sièges sur 212 –  a raté la majorité absolue de 3 voix à la Chambre aux élections de 1958), Gaston Eyskens a ramené sa famille politique au centre du jeu, après qu’elle ait été rejetée dans l’opposition pendant 4 ans. Pour les catholiques flamands, ultra majoritaires en Flandre, cela sonne aussi comme une revanche contre les socialistes, majoritairement wallons.

Alors qu’on parle ouvertement de crise de régime, sur fond de grèves et de montée du chômage, de fermeture de mines en Wallonie et des usines textile en Flandre, de l’indépendance mouvementée du Congo, Eyskens annonce, fin juillet 1960, « un programme d’austérité, d’économie et de discipline qui fera appel à toutes les classes sociales », programme qui  suscite l’opposition radicale de la FGTB et du PSB qui ont, avec le programme de réformes de structure, leur propre plan de relance économique. Porté par André Renard qui en a fait adopté les dispositions au milieu des années 50 par la FGTB, ce plan a été adoubé, en décembre 1959, par le PSB. Plutôt que l’austérité proposée par Eyskens, les réformes de structure prônent une planification souple de l’économie pour orienter les investissements, la nationalisation du secteur de l’énergie et le contrôle des holdings financiers qui dirigent et contrôlent l’économie.

La politique d’austérité voulue par Eyskens est coulée dans un projet de « loi d’expansion économique, de progrès social et de redressement financier », plus connu sous l’appellation de « Loi unique » que le gouvernement veut faire adopter sans la moindre modification.

Le projet de loi, déposé devant la Chambre le 4 novembre, a des allures de plan quinquennal visant à redresser rapidement la situation économique. Ses principales mesures consistent en l’augmentation des impôts indirects,  des coupes sombres dans les finances publiques, l’instauration d’un « état de besoin » et le renforcement du contrôle dans l’assurance chômage, les économies dans l’assurance maladie-invalidité, la révision à la baisse des conditions de recrutement et de traitement des agents provinciaux et communaux ainsi que le recul de l’âge de la mise à la pension dans les services publics. Les socialistes et les syndicats fustigent ce projet de Loi unique.

Le 16 décembre, André Renard, au nom des Métallos liégeois, propose au Comité national de la FGTB de voter la grève générale à durée illimitée. A la quasi-unanimité, les Wallons votent pour. Les Flamands – à l’exception de la centrale des services publics et de la régionale de Gand – votent contre. Les Bruxellois s’abstiennent. La proposition de Renard est rejetée à une courte majorité. Prémonition sans doute, quelques semaines auparavant, Renard a réuni un groupe de militants wallons et ils décident de créer « Combat », un hebdomadaire d’action socialiste, spécifiquement wallon.

Le 20 décembre, jour de l’ouverture des débats de la loi unique à la Chambre, des mouvements de grève éclatent, le préavis de grève déposé par la CGSP venant à expiration. La grève gagne vite l’ensemble de la Wallonie mais aussi Gand et Anvers. Si la FGTB réclame l’abandon pur et simple du projet de loi unique, la CSC estime qu’il est possible de l’amender, quand bien même le Premier ministre rappelle que « c’est à prendre ou à laisser ».

La grève se propage comme une trainée de poudre pour devenir générale en deux jours. En Wallonie tout au moins, car la protestation à la Loi unique est d’abord essentiellement wallonne pour devenir pratiquement exclusivement wallonne.

Cela fait dire à André Renard, dès le 3 janvier 1961, à Yvoz-Ramet, que « le peuple wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons pas que les cléricaux flamands nous imposent une loi. Le corps électoral socialiste représente 60% des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple ».

Le lendemain, dans un meeting à Grivegnée, Renard s’exclame : « Les années ont passé. Nous avions soulevé à l’époque déjà l’idée d’un certain fédéralisme qui, sans porter atteinte à l’unité du pays, aurait quand même consacré le respect des deux communautés. Nous l’avions évoqué à l’époque et puis nous l’avons oublié dans une certaine euphorie par après, nous disant : c’est un avertissement solennel que nous avons donné à ce pays, nous n’avons pas besoin de le répéter, on a compris qu’il ne faut pas imposer à la Wallonie une volonté qui vient d’une autre partie du pays. Eh bien, camarades, nous nous sommes trompés. La loi unique est encore une loi imposée par une partie du pays à l’autre partie du pays ».

Le 13 janvier, la Loi unique est adoptée à la Chambre, la grève s’essouffle et les 21 et 22 janvier, les deux derniers bastions – Liège et le Hainaut – suspendent le mouvement. La grève a duré un mois, a fait quatre morts, a laissé énormément d’amertume chez les grévistes et elle a confirmé la différence, pour ne pas dire l’opposition des réalités sociales et politiques entre Flandre et Wallonie. Mais la grève a aussi raffermi les revendications fédéralistes wallonnes. Même au sein du Parti socialiste unitaire, de plus en plus de membres wallons s’affirment fédéralistes malgré la volonté de la direction de maintenir une ligne « nationale ».

Le gouvernement Eyskens décide de dissoudre les Chambres en février 1961 et de nouvelles élections sont convoquées le 26 mars, avant donc que la loi unique ne soit mise en œuvre. Elle le sera, en grande partie, par le gouvernement Lefèvre-Spaak, catholique-socialiste, qui lui succède (le PSC-CVP a perdu 8 sièges à la Chambre et le PSB-BSP est resté stable, avec 84 députés).

Déçu mais pas abattu, plus convaincu que jamais que les Wallons ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour redresser leur économie et dessiner un avenir social meilleur, André Renard crée, en février, le Mouvement Populaire Wallon (MPW) pour lequel le fédéralisme est la seule voie pour réaliser les réformes de structure et donner un essor renouvelé à la Wallonie. Parmi les pères fondateurs du MPW – avant que le PSB ne décrète l’incompatibilité de la double affiliation PSB-MPW) – on retrouve Freddy Terwagne, qui sera l’un des artisans de la réforme institutionnelle de 1970, et Jacques Yerna. André Renard consacre les derniers mois de sa vie à la croissance du MPW. Il meurt le 20 juillet 1962. Un an plus tard, le MPW recueille 650.000 signatures en faveur du fédéralisme.

C’est à ce moment que le Mouvement flamand, dans la foulée du succès électoral de la Volksunie (qui passe de 1 à 5 députés des élections de 1958 à celles de 1961)  relève la tête et organise les premières marches flamandes sur Bruxelles.

La Belgique est définitivement fissurée et le gouvernement Lefèvre entend résoudre le contentieux Flamands-Wallons. Comme par hasard, toujours ou presque, au bénéfice de la Flandre : fixation de la frontière linguistique, parfois au mépris de la volonté de la population, recensement sans volet linguistique, qui aurait révélé la progression du français en périphérie bruxelloise, transfert des Fourons de la province de Liège à celle du Limbourg…

Mais faut-il s’en étonner quand le Premier ministre déclare « qu’on rentre dans les Wallons comme dans du beurre ».

En 1962, comme pour donner raison à cette appréciation peu flatteuse du Gantois Théo Lefèvre à propos des Wallons, les actionnaires de la sidérurgie wallonne financent la création de la sidérurgie flamande. Ainsi naît, en 1962, à Gand (!), sous la houlette anti-wallonne de la Société générale de Belgique, Sidmar (Sidérurgie maritime, en français dans le texte), outil tout beau tout neuf, alors que les sites historiques wallons deviennent tout doucement dépassés.

Le tandem Lefèvre-Spaak prépare une révision de la Constitution qui capote et il faudra attendre 1970 pour qu’une telle révision aboutisse. Il y aura eu, entre temps, la création du FDF et du Rassemblement wallon, qui joueront un rôle direct – sous leurs propres couleurs – et indirect – par imprégnation des autres partis – dans le processus de réforme de l’État. Et il y aura aussi, sinon surtout, la scission de la famille politique catholique en deux partis distincts : PSC au sud et CVP au nord qui adopte et développe désormais sa vision flamando-flamande du fédéralisme.

Pas sûr alors que tous les responsables politiques wallons aient pris conscience des problèmes économiques graves que rencontrait la Wallonie et que soulevait la grève de 60. On entame alors les golden sixties et la concertation sociale fonctionne bien. En réalité, la Wallonie perd dix ans pour réagir et redresser son économie. Un retard que nous avons trainé comme un boulet des décennies durant.

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